• Faut-il de la chair et du sang pour figurer la douleur, des croix pour indiquer le paradis, des diamants pour dire la vanité ? L’orfèvre Sophie Hanagarth est d’une autre espèce, carnassière, vive et piquante qui ne vous laisse aucune échappatoire. Dans une société où l’abondance est telle qu’un étalage de richesses ne signifie plus pouvoir ou domination, mais dans laquelle le statut social se définit par la force du verbe, la parure doit être bouclier, carapace, arme et piège ! Voilà pourquoi l’artiste prend le contre-pied des conventions, se joue des mots, vous pare de festons rouillés, vous revêt d’une toison aux pattes dorées, vous arme d’un traquenard au poignet.
Descendez au cachot, emparez-vous de ces fers contraignants, vous êtes aux portes d’une damnation salvatrice. Oui, laissez-vous façonner cette panoplie guerrière, devenez combattante, tueuse voluptueuse. Métamorphosez vos lippes en piège vorace, montrez les dents, exprimez votre arrogance. Même ces larves qui dans tous les cas auront un jour raison de vous, arborez-les victorieusement à la boutonnière, car le pouvoir c’est vous pour toujours, puisque vous êtes vivante, ici et maintenant.
Pour répondre à l’ironie de la vie sur elle-même, vous avez fait le choix de mordre. Alors oui, mordez la profondeur, mordez la noirceur, mordez la délicatesse des vers, laissez-vous guider par ces champignons fantasmagoriques, phallus forgés dans le fer le plus pur. Grâce à ce fouet châtré devenu collier « Q » arboré en signe de domination, vous n’aurez plus peur de l’enfer, vous ne broierez plus du noir, vous le porterez. De votre passage dans les feux de la forge, il ne restera qu’une grappe de crottes d’or 18 carats à porter en broche, ultime expression de votre mépris, renvoyant diamants et métaux nobles au rang de bagatelle, attributs de vanité à ranger dans le placard des mégères apprivoisées.
Pour élaborer son registre inédit de symboles, Sophie Hanagarth décortique l’héritage culturel de notre société, s’inspire de mythes populaires autant que d’art religieux. Interrogeant nos habitudes, elle brise le miroir aux alouettes de nos valeurs matérielles, ciselant d’une main agile et précise les matériaux les plus pauvres. Avec finesse et sens des volumes, elle forge le fer pour s’affranchir des codes du bijou et de ses convenances, n’hésitant pas à se former à l’art du tressage pour façonner des fouets à l’évocation sulfureuse. Proposant d’arborer fers, trophées, traquenards, ses réflexions sur le sens de la parure permettent une libération joyeuse du tragique de la légèreté de l’existence.

DOVBLE V, revue annuelle - OMNIVORE - #5, 2010/2011